Elle a peut être 15 ou peut être 16 ans. Dans la voiture conduite par son père, elle regarde le ciel. La nuit est en train de tomber et la lune est déjà là qui la suit comme si elle partait en vacances avec elle. Elle est amoureuse pour la première fois et ce qui l'année passée encore était une fête est devenu calvaire. Ces vacances signifient séparation, signifient manque, signifient silence, signifient doutes, signifient peurs. Elle se laisse conduire vers cet endroit qui lui sera dorénavant étranger puisque son amour tout neuf ne s'y trouvera pas. Elle n'a que ses rêves d'adolescentes pour compagnie et son amie la lune, sa confidente unique de ses rêves de jeune fille en fleurs.
Elle, la jeune fille mélancolique, se laisse bercer par la route et pleure en dedans des mot d'amour qui ne trouvent pas le chemin. Chaque goutte d'eau qui roule sur sa joue est un monde inexprimé. Dans l'ombre de la nuit, les arbres forment d'étranges fantômes menaçant lui rappelant son enfance qui affleure encore au coin de son sourire. Mais de sourire dans cette nuit là, elle n'en a plus.

Son père jette de temps en temps un regard sur elle dans le rétroviseur, inquiet de ce nouveau mystère. Quelle est donc cette jeune femme qui pleure à l'arrière de sa voiture, sans un son, sans même le moindre gémissement ? Comme c'est impressionnant cette peine pudique, comme il n'ose pas poser la moindre question, comme il se sent impuissant, minuscule, inutile et comme tout cela le fait souffrir. Il s'était fait une fête de retrouver son enfant, de l'emmener dans leur maison de vacances, une fête de ce tête à tête, une fête de ce voyage, sa fille à ses côtés et leur complicité retrouvée. Mais à la place de son enfant chérie, il avait retrouvé une jeune femme boudeuse, fermée. Quand donc la transformation s'était elle opérée ? Pourquoi fallait il que cela se passe si soudainement ? Pourquoi n'avait il pas eu le temps de s'habituer ?

Elle regarde par la fenêtre et s'absorbe de ses rêves. Les derniers mots de son amoureux comme une promesse. Un "je t'aime" qu'il avait osé dire. Mais elle était restée bêtement muette, désarmée, affolée, le cerveau en arrêt et le cœur battant si fort. C'était donc ça qu'on appelait "battre la chamade". Ce premier baiser qui l'avait effrayée. L'affolement de son corps, cette plongée dans l'inconnu, est ce que c'est ça l'amour ? Est ce qu'on est obligé de devenir idiote ? Mais là au creux de la nuit, la lune pour écran, elle se repassait le film encore et encore, maintenant qu'elle était en sécurité, elle s'imaginait lui répondre "moi aussi je t'aime", elle imaginait le baiser qu'elle aurait dû lui rendre, elle imaginait sa main dans la sienne, elle imaginait, imaginait en s'éloignant. Elle croisa le regard interrogatif de son père; non, elle n'avait pas envie de lui parler. Elle voulait rester seule dans sa bulle de rêves, là ou la vie est plus facile, plus belle.

La lune pour guide, ils terminèrent le voyage. Elle avait finit par s'endormir. Le soleil pointait le bout de ses rayons, tout était enveloppé de rose. Elle ouvrit les yeux et reconnu sa maison d'enfance, sa maison des 400 coups, son refuge, son île, son pays. Son père était déjà descendu de voiture. Elle en sorti à son tour et le rejoignit. Côte à côte silencieux, ils regardaient la mer, humaient l'air, et frissonnaient de fatigue. Il lui prit la main, comme il avait toujours fait, sa menotte de gamine était devenue une main douce de jeune fille. Elle ne la retira pas, il sourit. Il la regarda, lui dit :" Comme tu as grandie, ma fille". Elle rougit comme s'il avait deviné son secret, gloussa, lui donna un coup de coude dans les côtes et lui dit " t'es bête Papa". Puis elle couru vers la mer dans un éclat de rire. Comme il était beau ce rire, comme il était bon. Allons, se sera encore de belles vacances.