Cyrielle s’est levée, est partie précipitamment dans sa chambre, enfin celle de Chloé, mais c’est plus la sienne depuis quelques temps. Bref, peu importe, c’est pas le sujet. Je me suis retrouvé dans le salon avec Arno et Nathalie qui avait curieusement le même regard avec des couteaux dedans. J’ai été pris d’un grand découragement. J’avoue avoir été tenté de partir, moi aussi, dans ma chambre, en claquant la porte de préférence.
Seulement, j’étais figé, fatigué, découragé, plus la force de rien expliquer. Dire quoi de toute façon sans blesser Cyrielle ? Aucun mensonge ne m’est venu à l’esprit. J’ai dit :
- Vous voulez une bière ?
Vraiment le truc nul, la diversion à deux balles, je n’avais aucun espoir que ça fonctionne, mais c’est le seul truc qui m’est venu. Sans doute parce que moi, j’avais seulement envie de ça, une bière et du calme. Mais Arno ne m’a pas laissé le choix.
- Qu’est ce qui se passe avec Cyrielle ?
- C’est à elle que tu devrais le demander.
Son regard s’est fait encore plus sombre. Nathalie a dit :
- Bon ben moi, je vais vous laisser. Je ne faisais que déposer Arno.
Elle ne m’a plus regardé. Elle a ostensiblement évité de me regarder. Je crois que c’était pire que ses yeux assassins. Elle a embrassé son fis et elle est parti.
Je suis allé me chercher une bière, je me suis assis sur le canapé. Arno n’avait toujours pas bougé. J’ai dit :
- Ne reste pas debout comme ça. Viens t’assoir.
- Tu l’as sauté ?
- Pardon ?
- Cyrielle, t’as couché avec elle ?
- Non
- T’as essayé ?
- Non. Mais enfin merde ! Pour qui vous me prenez tous ! Cyrielle est une gamine à mes yeux. J’essaye juste d’être gentil avec elle parce que je la sens un peu perdu ! Mais NON, je n’ai pas envie de coucher avec elle !
Il a paru soulagé. Moi aussi du coup, au moins il m’a cru.
- Alors, tu veux pas me dire ce qui s’est passé ?
- Pourquoi tu veux tant savoir ? En quoi ça te concerne ?
- C’est que moi aussi, figure-toi, je m’inquiète pour elle.
- Hum… Écoute, rien de grave, il y a eu un malentendu entre elle et moi et ça l’a mis mal à l’aise. On était en train de régler ça quand vous êtes arrivé.
- Sur ?
- Oui…
Il est allé se chercher une bière
- Elle est bizarre depuis quelques temps, non ?
- Tu trouves ?
- Oui…
Il s’est assis à côté de moi
- Vincent ?
- Hum
- Faut que je t’avoue un truc
J’ai eu un peu peur, je me suis dit que c’était pas ma soirée
- Quoi ?
- J’ai cru que Cyrielle et toi… Vous étiez ensemble.
- Mais je comprends pas pourquoi ? Il y a eu quelques choses dans mon attitude qui t’as fait croire ça ?
- Ben, je sais pas, tu fais vachement attention à elle, et elle, elle ne parle que de toi ces derniers temps.
- Ah bon ??
- Oui.
- Il n’y a rien de sentimental entre elle et moi. Je la trouve attachante, mais je la vois comme une enfant, et elle, je suppose que comme elle a pas connu son père, tu vois…
- Oui. Je suis content que ce soit pas le cas…
- Moi, j’ai pensé que c’est toi qui l’intéressait.
- Tu crois ? (Il a dit ça avec une telle pointe d’espoir que j’ai compris)
- C’est possible en tout cas, pas certain, je suis pas très doué pour identifier ce genre de signe, mais ça m’a traversé, oui.
…
- T’en pince pour elle ?
…
- T’en pince pour elle.
- Ça se voit ?
- Pas trop, je l’ai compris seulement ce soir. Tu lui as dit ?
- Jamais de la vie !
- Pourquoi ?
- Parce que…
J’ai senti qu’il fallait changer de sujet, c’était beaucoup de confidence d’un coup déjà. Arno ne m’avait jamais autant parlé de lui depuis que j’avais intégré la coloc.
- Et sinon, je suppose que ta mère a dû penser de moi la même chose que toi.
- C’est sûr.
- Et merde !
- Pourquoi tu flippes ?
- Je préfèrerai qu’elle ait une meilleure opinion de moi
- Pourquoi ?
- Parce que.
- Tu veux te la faire ?
- Mais c’est une obsession chez toi ? Comment tu parles de ta mère !
Il a ri. Ça m’a fait un bien fou, ce rire. On a trinqué.
- T’inquiète, je parlerai à ma mère.
- Merci.
- Mais si tu veux te la faire, te gêne pas pour moi.
- Nan mais arrête avec ça ! Simon déteint sur toi, c’est pas possible !
- Ok, je veux dire que si ma daronne te plait, et que tu parviens à lui plaire, ce qui à mon avis n’est pas gagné…
- Ah bon, tu crois ?
- Ah tu vois qu’elle te plait ! Bref, si vous vous plaisez, moi je serais content pour elle, je serais content pour toi, et pour moi aussi. Ce serait la classe quand même que ce soit moi qui me sois trouvé mon beau père.
- On en est pas là. Le statut de coloc pour le moment suffit.
- Si tu le dis…
On a fini nos bières en silence. Chacun perdu dans ses pensées. Enfin, moi c’était plutôt vide, trop d’émotions d’un coup, j’avais plus de jus.