Quand je suis rentré à Paris après avoir vu ma sœur, j’ai trouvé Cyrielle assise dans les escaliers de l’immeuble. Elle avait une mine pitoyable. Son maquillage laissait de grandes coulées noires sur ses joues. Elle s’est levée rapidement en me voyant. J’allais lui demander ce qu’elle faisait là, toute seule, et puis d’instinct, j’ai renoncé. J’ai ouvert la porte et je l’ai laissée entrer. Aucun coloc n’était présent, c’est donc pour ça qu’elle attendait dans l’escalier. Elle s’est laissée tomber sur le canapé, sans un mot. Je lui ai fait un thé. Je lui ai apporté, elle l’a pris dans ses deux mains qu’elle a laissé retomber sur ses cuisses. Je me suis assis à côté d’elle. J’ai attendu, sans rien dire.
Au bout de longues minutes, la voyant toujours prostrée j’ai fini par demander tout doucement, avec la peur d’être le pire des maladroits : « Tu peux me dire ce qui t’es arrivé ? ». Elle a hoché la tête. J’ai attendu, mais elle n’a toujours rien dit. J’ai fait des suggestions :
- Tu t’es disputé avec quelqu’un ?
Hochement de tête
- Avec ta mère ?
Hochement de tête
J’ai attendu encore, mais rien. J’allais me lever pour me faire un café, elle m’a retenu par la manche. Je suis resté assis. Elle a posé sa tasse de thé sur la table basse. Elle a pris une grande inspiration, elle s’est mise à parler, au milieu de sanglots. J’ai reconstitué le récit décousu au fur et à mesure.
Sa mère est depuis quelque temps avec un nouveau copain. Il avait l’air cool. Il était gentil avec Cyrielle. Elle l’aimait bien, pour une fois. La nuit précédente, il est entré dans sa chambre. Elle n’a pas pu me dire ce qu’il a fait mais j’ai compris qu’elle avait été agressée. Sa mère a surpris l’agression et au lieu de s’en prendre à son mec, elle a giflé sa fille et l’a traité de pute. Puis les deux l’ont laissée seule dans sa chambre. Elle a pris les premiers vêtements qu’elle a trouvé, son sac et elle est parti. Elle est venue directement ici, mais pas de chance, cette nuit, la coloc était vide. Elle a sonné à tous les interphones jusqu’à ce que quelqu’un lui ouvre puis elle a attendu sur le palier jusqu’à ce que je la trouve.
J’ai tout écouté, sans l’interrompre. Je n’ai posé aucune question. Plus tard j’ai compris que j’ai ressenti un tas de choses, peur d’être maladroit et d’empirer les choses, grand sentiment d’impuissance, et une colère sourde. Je suis resté à côté d’elle, on n’a pas parlé pendant un moment. Puis j’ai dit :
- On a besoin d’aide. Ne bouge pas d’ici. Je reviens très vite.
- Tu vas où ?
- Je vais demander de l’aide au voisin sur le palier, le psy.
- Je ne veux pas lui parler.
- C’est moi qui vais lui parler, je vais lui demander comment je peux t’aider. D’accord ?
- D’accord.
Je suis allé tambouriner à la porte d’en face. Le psy m’a ouvert, surpris. J’ai dit : « C’est une urgence ». Il m’a fait entrer. Je lui ai raconté, dans son couloir, vite et surement de façon un peu confuse le récit que je venais d’entendre. Il a écouté. Il est allé chercher une carte de visite : « C’est une association spécialisée dans l’accompagnement des femmes agressées sexuellement. Appelez-les, elles vous diront quelles démarches entreprendre. Elles ont une permanence » Je l’ai remercié et je suis vite retourné auprès de Cyrielle. Elle n’avait pas bougé. Je lui ai montré la carte en lui expliquant ce que le psy m’avait dit.
- Est-ce que tu veux qu’on les appelle ?
- Je peux pas
- Tu veux bien que je le fasse ?
- D’accord
J’ai mis le haut-parleur pour que Cyrielle entende tout. On est tombé sur une femme super. Quand je lui ai raconté la situation elle a demandé si Cyrielle était en état de venir jusqu’au local de l’association. Cyrielle m’a fait signe que non.
- Je t’y emmène en voiture, je reste avec toi
- D’accord.
On est arrivé une demi-heure après. Sur place, nous attendait la femme que nous avions eu au téléphone. Elle a accompagné Cyrielle dans une sorte de petit salon et m’a fait signe de rester un peu en retrait. Cyrielle s’est laissée conduire. J’avoue m’être senti soulagé de passer le relais. J’ai quand même attendu.
J’ai appris plus tard que cette association propose d’accompagner les victimes dans toutes les démarches pour déposer plainte. Quand une situation comme celle de Cyrielle se présente, la personne de permanence, prévient une équipe de bénévoles, médecin, psy, policier pour que tout soit centralisé au même endroit et que la victime n’aie pas à se déplacer à l’hôpital ou au commissariat.
On m’a demandé qui j’étais pour Cyrielle, j’ai dit un ami. On m’a demandé si Cyrielle avait un endroit refuge car il était évidemment hors de question qu’elle retourne chez sa mère. J’ai pris sur moi de dire qu’elle pouvait loger à la colocation le temps nécessaire. On est reparti en fin d’après-midi. On est rentré à la coloc. Dans la voiture Cyrielle m’a dit : « On dit rien aux autres d’accord ? » J’ai dit « Comme tu veux ». Mais j’ai pensé, ça va être compliqué. Elle a dit : « Je pourrais prendre une douche en rentrant ? Le médecin a dit que je pouvais. »
Je n’ai pas tout de suite compris pourquoi elle avait parlé du médecin. Pus tard, j’ai su que des prélèvements avait été fait. J’ai dit :
- Oui, bien sûr. Qu’est-ce qu’on dit aux autres ?
- On parlera juste d’une dispute avec ma mère.
- D’accord. Pour dormir, on trouvera un arrangement avec les autres. S’il faut je squatterai le canapé. Ne t’inquiète pas.
- Ok.
Quand on est arrivé à la coloc, ils étaient tous rentrés. Arno a semblé surpris de nous voir débarquer ensemble. Cyrielle a dit tout de suite
- Je viens de croiser Vincent en bas. Je me suis fritté avec ma daronne. Je peux squatter chez vous ?
Chloé nous a regardé tous les deux. J’ai eu l’impression que le mensonge se lisait sur mon visage. Elle a dit
- Squatte autant que tu veux, on peut partager ma piaule.
Cyrielle est allée se doucher. Moi, j’ai réalisé que je n’avais rien mangé depuis le petit déjeuné chez ma sœur. J’ai ouvert le frigo. Il y avait plein de plats préparés sans doute par Nathalie, la mère d’Arno. Je me suis rabattu sur du pain et du fromage pour patienter jusqu’au diner. Puisqu’on était tous là, ça faisait longtemps qu’on avait pas eu l’occasion de faire un repas partagé.
Le soir, on a réchauffé les plats de Nathalie. Simon a raconté des blagues auxquelles Cyrielle à rit un peu fort. Mais, on était bien, comme un genre de famille.
La vie a repris un court qui semble normal. Sauf que je ne peux pas m’empêcher de veiller sur Cyrielle comme le lait sur le feu. Je ne sais pas ce qu’elle a pu confier à Chloé depuis, mais cette dernière est devenue particulièrement sympa avec moi. Arno et Simon semble n’avoir rien remarqué. Cyrielle masque derrière ses rires ses yeux tristes.