mardi, juillet 8 2025

Chapitre 16, Vincent

Les évènements se sont précipités en cette fin d’année. D’abord le spectacle de mes jeunes colocs, éblouissant. Je suis leur premier fan. Simon était, contre toute attente la star de la soirée, il a fait un carton avec son Avare. Je dis contre toute attente, car dans la bande, il se donne toujours des airs de médiocre comédien et les autres ne démentent pas. Mais hier, franchement, il m’a impressionné, drôle et touchant aussi, même Chloé l’a félicité. Chloé… Quelle magicienne ! Cette gamine n’a pas d’âge, elle les a tous. Comment fait-elle pour qu’on l’oublie à ce point derrière son personnage ? Arno et Cyrielle, ensemble dans cette scène magnifique qui va si bien à leur âge, étaient très bien aussi. J’ai chaleureusement félicité Cyrielle après, je me disais qu’il ne fallait rater aucune occasion de la valoriser après ce qu’elle a vécu.

À la sortie, j’ai croisé les parents de Simon de loin. J’ai rencontré ceux de Chloé, son père est clown et sa mère est psy, quel mélange ! Ils sont partis assez vite. Arno m’a présenté sa prof de théâtre. Elle m’a dit :
- Ah oui, le comptable ! Dîtes j’aurai des conseils à vous demander, ça vous embêterait si on se cale un rendez-vous ?
Un peu surpris par une demande si directe, j’ai regardé Arno qui m’a dit :
- J’ai parlé un peu de toi, mais te sens pas obligé hein.
La prof d’enchainer
- Pardon, je vous saute dessus comme ça, à brûle pourpoint. C’est pas du tout le moment.
- Voici ma carte pro, appelez-moi dans la semaine et on verra si je peux vous aider.
- Merci, merci beaucoup. Tu as raison Arno c’est un chic type.

Arno a souri. Il a dit
- Elle est marrante hein.
- Tu trouves ?
- Oui, j’adore, elle emploie tout le temps des expressions bizarres comme « à brûle pourpoint » qui dit ça ?
- C’est sans doute une question de génération
- Tu dis ça toi ?
- Ça m’arrive
- Dingue !
Puis il a filé voir ses camarades.

J’ai aperçu Nathalie, je suis allé la saluer. Nous avons échangé quelques mots sur la soirée. Puis de fil en aiguille, elle a dit une chose ou deux sur son travail de peintre. J’ai dit que j’aimerai beaucoup voir ses tableaux. Nous avons été interrompus par Arno, qui me proposait de les suivre pour aller boire un verre, mais sans convier sa mère. J’avais plus envie de boire un verre avec elle qu’avec eux. Je me suis retrouvé un peu figé, un peu con. Nathalie a souri, elle a dit avec une ironie que je n’ai pas loupée : « Je vous laisse entre jeune ». Ça m’a débloqué, j’ai dit : « Vous ne voulez pas vous joindre à nous ? » Elle a regardé son fils d’un air interrogateur, j’ai regardé Arno d’un air un peu suppliant, je crois. Il a dit : « Ben oui, viens si tu veux. » J’ai pensé « ouf ».

Nous sommes allés tous ensemble à la brasserie du coin. Nous avons mangé un morceau et bu quelques bières. Les jeunes refaisaient la soirée en boucle. Commentaient tel ou tel passage, riaient de leur trac, râlaient de leurs ratés. Nous les écoutions, Nathalie et moi, avec tendresse. Ils nous ont redemandé encore et encore notre avis, sur telle scène, tel passage, tel comédien. Puis nous les avons progressivement laissés à leurs inlassables obsessions pour revenir à nous.

Nathalie m’a parlé de son divorce, assez dur de ce que j’ai compris. Son ex-mari s’est lassé de vivre avec une artiste fauchée vieillissante, il lui a préféré une jeune secrétaire à l’ambition dévorante. Elle en parle avec fatalisme, un sourire triste aux lèvres qui donne l’impression qu’elle n’attend plus grand-chose de l’amour. J’ai parlé de mon divorce aussi, forcément. Nous avons posé le constat que nous n’avions pas été à la hauteur des attentes de nos ex respectifs, ça nous a fait rire, jaune. J’étais bien, détendu, tout m’a semblé simple. Jusqu’à ce que Cyrielle, ivre, commence à parler trop fort, à tenir des propos incohérents mêlés d’insultes. Je n’ai pas pu m’empêcher de m’en occuper. J’ai dit au revoir à Nathalie et j’ai embarqué Cyrielle, direction la coloc. Les autres sont restés finir leur soirée.

Dans la voiture Cyrielle s’est mise à pleurer en disant qu’elle était une ratée, une bonne à rien. J’en avais le cœur meurtri. Elle ne m’a jamais reparlé de la suite de sa plainte. Y a-t-il eu enquête ? A-t-il été arrêté ? Je n’en sais rien et je n’ose pas poser de questions.

Arrivés à la maison, je lui ai fait boire des grands verres d’eau. Elle a vomi, je l’ai soutenu. Je lui ai nettoyé le visage avec une serviette humide, puis je l’ai mise au lit. Elle s’est endormie comme une souche.

Quelque jour plus tard, je me suis retrouvé seul avec Cyrielle à l’appartement. C’était un début de soirée. Les autres étaient je ne sais où. Elle a fait à manger, a mis les petits plats dans les grands. J’ai pensé qu’elle voulait me remercier de m’être occupée d’elle. La soirée était bizarre. Étrange tête à tête, elle était assez silencieuse et je n’étais pas très à l’aise. Après le repas, elle a proposé qu’on regarde un film, j’ai dit « pourquoi pas ». Elle a lancé un truc, je ne sais même pas quoi, s’est assise à côté de moi sur le canapé et soudain, elle m’a embrassé. A peine le contact de sa bouche, j’ai bondi hors du canapé comme si j’étais monté sur ressorts, sans réfléchir, un réflexe. J’ai mis la table basse entre elle et moi, j’ai dit :
- Qu’est ce qui te prend ?
Elle m’a répondu d’un air faussement dégagé
- Déso, je pensais que c’est ce que tu voulais toi aussi.
- Pardon ??? Mais à quel moment as-tu pensé un truc pareil ?
- Ça va ! Je suis pas repoussante à ce point ? Si ?
- Mais, mais c’est pas la question Cyrielle !
- C’est quoi la question ? La différence d’âge ? Mais je m’en fou moi.
- Mais pas moi ! Enfin Cyrielle, tu es plus jeune que ma propre fille !
- Et alors, si on s’aime qu’est-ce que ça fait ?
- On ? Attend, on se calme. On va prendre les choses une par une. D’abord je suis désolé si tu as cru que j’avais ce type de sentiment pour toi. Ce n’est pas le cas.
- Je te plais pas ? Suis trop moche ?
- Tu n’es pas moche du tout, mais bon sang, je te vois plutôt comme ma fille, tu comprends. C’est pas la même chose.
- Mais je suis pas ta fille !
- Non, c’est vrai. Mais j’y peux rien, c’est comme ça que je te vois.
- Et tu veux pas essayer de me voir autrement ?
- Franchement, non. Je me ferais vomir moi-même si je m’embarquais là-dedans. Enfin regarde moi bien Cyrielle. J’ai 50 piges, je suis bedonnant, j’ai la peau flasque, je me ferais l’effet d’un vieux pervers. C’est absolument impossible. Et, et, et même toi, tiens, je suis sûr que ce que tu ressens c’est pas de l’amour comme ça. C’est juste que je suis un adulte, gentil, qui a pris soin de toi ces derniers temps et avec qui tu t’es senti en sécurité, bref, comme un papa.
- Je sais pas ce que c’est un papa
- C’est pour ça, tu as confondu. Ce que tu ressens, c’est plus filial qu’amoureux.
- Tu crois vraiment que j’ai embrassé un mec que je prends pour mon père ?
- Oui.
On n’a rien dit pendant quelques minutes. Elle boudait, bras croisés, sourcils froncés regard au sol. J’ai dit :
- T’as pas tellement l’habitude qu’on prenne soin de toi ?
- Ben ça !
- Tu sais, de ma part c’était sans attente. C’est juste que je ne me voyais pas ne rien faire après avoir entendu… ton histoire…
- Tu as eu pitié de moi ?
- Pas pitié, non, je ne crois pas, mais ça m’a touché oui. J’ai pensé à ma fille
- Encore !
- Oui, c’est comme ça. Mais je n’attendais rien de toi en retour… J’ai pris soin de toi parce que c’était trop dur d’avoir l’impression de rien pouvoir faire, je l’ai fait pour moi. Et tu vois, ça c’est mon psy qui me l’a expliqué… Il m’a dit aussi que parfois, quand on n’est pas habitué à la gentillesse, on croit qu’on doit quelque chose à la personne, comme une dette et que parfois, on mélange tout, la gratitude, la dette, c’est compliqué tout ça. Ça te parle ?
- Ma mère m’a dit ça après m’avoir giflée « après tout ce que j’ai fait pour toi » Qu’est-ce qu’elle a fait ? Rien du tout… Et lui… Il me disait « sois gentille, suis gentil moi avec toi » quand il …
Elle s’est mise à pleurer, doucement, juste des larmes qui coulent. Je n’ai pas bougé, j’ai attendu. Elle a essuyé ses larmes de sa main, je lui ai tendu un morceau de sopalin, elle s’est mouchée comme une enfant. Puis elle a dit :
- Tu m’en veux ? C’est la honte un peu
- Mais non, mais pas du tout.
- Ça jette un malaise quand même
- Écoute, on va faire toi et moi comme si ça n’était jamais arrivé…

C’est là que j’ai entendu la voix d’Arno dire « qu’est ce qui n’est jamais arrivé ? ». Je me suis retourné vers l’entrée. Il était là, avec Nathalie. J’ai vraiment le chic, pour me foutre dans la merde devant cette femme.

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Chapitre 15 Vincent

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