Novembre à Paris est toujours une période déprimante, le gris, la pluie, le froid, les journées trop courtes. Mes jeunes colocs n’y échappent pas. Simon grogne après tout et n’importe quoi et particulièrement après sa prof de théâtre. Apparemment, il se fait pas mal bousculer en cours « pour le faire sortir de son personnage de rigolo » m’a-t-on dit. Arno a en permanence les sourcils froncés, le regard inquiet, plus taiseux que jamais. J’aimerais beaucoup le faire parler de lui, savoir ce qui se passe derrière, mais je ne suis pas doué pour ce genre de choses, je ne saurais pas comment m’y prendre. Cyrielle se plie en quatre pour faire plaisir à tout le monde et particulièrement à moi. Je ne sais pas trop comment gérer cette situation. Faudrait que j’en parle à mon psy la prochaine fois. Seule Chloé à l’air heureux. Mais elle n’est pas souvent là depuis quelques semaines, elle laisse sa chambre à Cyrielle. Parait qu’elle a rencontré quelqu’un. Je suis content pour elle.
Cécile, ma fille, a déménagé, elle a trouvé un job à mi-temps qui lui permet de compléter ce qu’on lui verse déjà. Elle vit toujours dans le nord de Paris, dans une studette, ça doit faire 15m2, mais elle me dit : « Je suis chez moi au moins, j’avais besoin d’intimité ». Elle continue de grandir. Je lui ai raconté ce que m’a dit ma sœur Béatrice au sujet des cahiers de sa grand-mère, elle a été très curieuse. Je crois qu’elle va essayer de convaincre son grand-père de les lui confier. Je me demande comment elle va s’y prendre.
Mon père va bien. Il veut prendre des vacances. C’est bien la première fois qu’il en parle. Il voudrait s’offrir un voyage au soleil et au bord de la mer. Béatrice m’a demandé si je pouvais organiser ça et partir avec lui, elle ne peut pas quitter son EHPAD, ou elle ne veut pas. Je n’ai pas dit oui, mais je n’ai pas dit non, j’ai dit que j’allais y réfléchir.
Moi ? … Je me sens vieux, fatigué et inquiet. Mon boulot me pèse. Chaque jour, je me demande ce que je fou dans ce cabinet. Cécile me dit que je devrais partir, faire autre chose, ou bosser ailleurs, mais va retrouver du boulot à 50 piges. En même temps, l’idée de rester là en attendant la retraite, quelle déprime, j’ai l’impression d’être un vieux qui attend la mort. Peut-être que je devrais poser des jours de congés et partir avec mon père, en Grèce. Je ne sais pas pourquoi c’est la première destination qui m’est venu à l’esprit. Mais organiser … Rien que d’y penser, je soupire.
Dans un mois se sera déjà Noël, la coloc va se vider, chacun ira dans sa famille. Sauf Cyrielle, bien-sûr. Arno lui a proposé de passer Noël avec lui et sa mère mais elle a refusé. On fera surement une bouffe avec Cécile. Même si ses relations avec sa mère semblent s’être un peu arrangée, elle n’aime pas « le nouveau » comme elle l’appelle, je suppose donc que comme chaque année, elle passera Noël avec moi. Je proposerai à Cyrielle de se joindre à nous. Enfin d’ici là, il peut se passer plein de choses. On verra bien.
La seule chose qui me fait plaisir c’est que bientôt, je vais voir ma bande de jeunes jouer sur scène. Juste avant les vacances, ils ont ce qu’ils appellent leur audition publique. Ils m’ont demandé d’y assister. Je ne manquerai ça pour rien au monde. Cécile se joindra à moi. J’ai hâte.