Une fois de plus la page blanche lumineuse de l’ordinateur, les mains suspendues au-dessus du clavier et puis, rien. La tête est vide. Pourtant le désir est là.
Elle écrit, elle écrivait, depuis toujours presque, depuis l’âge où l’on commence à écrire, douze ans, l’entrée dans l’adolescence. Elle écrivait en faisant le tour d’elle-même, mille révolutions autour de son nombril. Elle en avait eues des blessures à raconter, panser les maux, penser les mots, même chose. Et puis la vie enfin s’était calmée, à peu près, en tout cas, elle était plus apaisée à l’aube de la cinquantaine et elle avait cessé d’écrire.

Mais le désir revenait par vague. Cette frénésie des mots qui coulent de source, cette excitation du récit, du partage, la jouissance du mot juste, du rythme, peut-être, oui surtout le rythme. Intact en elle, les sensations de l’écriture mais plus de paroles. Que dire ? Que raconter maintenant qui vaille d’être écrit ? Des idées, oui bien sûr, mais pas d’élan.

L’histoire d’une femme qui n’arrive plus à écrire. La paix est-elle l’ennemie de l’inspiration ?

Tellement sage, tellement posée, de se relire, là, quelques phrases… Sans intérêt lui souffle son juge.

Et encore la page blanche lumineuse de l’ordinateur et les mains suspendues.

Les rêves ? Où sont-ils passés ? Les désirs ? Les fièvres ? L’urgence ? La joie même ? La joie peut s’écrire. Qu’un personnage surgisse seulement et s’empare d’elle, si pas de sujet, un personnage peut-être ?

Il y en eut un qui surgit au milieu de ce néant, poussé par un jeu collectif, l’auberge des blogueurs, cela s’appelait. Une manière artificielle et joyeuse et simuler la nécessité. Et il était venu, ce personnage, si loin d’elle, spectaculaire, joyeux, léger, sentimental, drôle. Quelle belle surprise cela avait été. Vivre au rythme de cet autre, la rêver la nuit, entendre sa voix, et la voir vivre au milieu d’autres personnages, se mélanger leur musique, se laisser inspirer enfin, surprendre souvent. Avoir des idées, des idées, choisir, hésiter, changer d’avis, écrire, écrire, vite, et rire comme une enfant qui joue avec ses poupées, s’inventer un monde, des histoires, et partager. Là, le juge avait fait silence, un jeu, ce n’est qu’un jeu, pas d’enjeu. Et dans le silence du juge, la peur s’était envolée. N’était restée que la joie pure. Elle l’avait aimé ce personnage. Elle avait savouré de sentir sous ses mots, les cordes sensibles de sa marionnette et par-dessus tout, elle avait aimé qu’on l’aime, sa Natou. Ces instants-là, d’écriture joyeuse, libre de toute volonté, libre du sérieux, ces instants-là, ce petit personnage né d’une bonne blague, avait éveillé cette envie de jouer, et petit à petit, elle avait grandi, sous ses yeux ébahis. Quelle folle aventure cela avait été.

Le jeu avait fini, la laissant avec un désir à vif et le vide revenu.

Alors ? Pensa-t-elle, on continue de tourner en rond ? C’est quoi ce désir d’écrire au fond ? Retrouver un état. L’invention. Une transe. Oui, inventer, n’importe quoi peut-être. Partir de nulle part, du néant, et laisser surgir. Si seulement…