IMG_2585stgueete22_DxO.jpg, août 2022
photo prise par la merveille avec l'appareil de Gilsoub

Deux personnes de mon entourage m'ont dit cela : " Cette impression que, le sort s'acharne, avec tout ce que tu as vécu déjà..." J'entends toute leur bienveillance, leur empathie, leur sentiment d'injustice etc. Mais je leur répond toujours que je ne peux pas envisager les choses de cette façon, car cela m'enferme dans la victimisation, je ne m'y reconnais pas.

Et puis j'ai continué de penser à cette phrase qui semble me parler de quelqu'un d'autre que moi. Bien sur, si on fait la somme de mes malheurs, mit bout à bout, ma vie peut sembler terrible. Un père incestueux, une mère alcoolique, la maladie de François, son décès, la maladie de Stéphanie, son décès et mes cancers. Et encore je n'ai pas tout nommé. Ça fait une belle liste de malheurs terribles. Et pourtant, j'ai le sentiment d'avoir eu jusqu'ici une belle vie avec beaucoup de chances.

A commencer par la découverte du théâtre, la façon dont cela m'a extirpé de mon enfance. Un espace où j'ai pu me sentir à ma place pendant plus de 25 ans, où mon hypersensibilité était un atout. Ma vie à Nice, avec la création de cette troupe, la constitution d'une famille d'adoption, avec laquelle j'ai vécu mes premières années d'adulte. Cette vie de bord de mer. Puis François, la naissance de ma merveille, ces années de grand amour tout simple, en sécurité. Puis après, la rencontre de Gilles et l'amour qui revient. Ma merveille qui grandit, avec qui j'ai une si belle relation. Et aussi ma rencontre avec Marie Thérèse, qui pendant deux ans m'a accompagnée et formée à mon nouveau métier, j'ai tant aimé être son "padawan". Et cette année encore, le mariage avec Gilles, l'achat de la maison de Bretagne, la re-vie de bord de mer. La rencontre de nouveaux amis, tout doux, tout tendres, tout attentionnés.

Alors, le sort qui s'acharne ? Je ne crois pas non. C'est juste la vie. J'ai peut être eu plus de coups durs que certains mais aussi plus de coups de bonheurs peut-être. Et la vie continue. Je traverse le cancer et bien sur c'est difficile, c'est plein de peurs et de douleurs mais en même temps, je suis aimée, choyée, entourée, je passe ma convalescence dans un endroit magnifique. J'ai de la chance, dans cette vie qui se fout du bonheur et du malheur, qui se fout du sort, qui ne s'occupe que d'être la vie. Ça me fait penser à ce conte métaphorique taoïste :

Dans un village, un homme très pauvre possédait un cheval d'une rare beauté. Il était si magnifique que tous les riches marchands et puissants seigneurs de passage se proposaient de lui acheter dès qu'ils l'apercevaient. Mais le vieil homme refusait toujours. Cet animal est pour moi comme un ami, disait-il. Vendriez-vous un ami ?

Mais un beau matin, le vieillard découvrit que son cheval avait disparu. Les villageois, goguenards, lui dirent tous : "On te l'avait bien dit ! Tu n'avais qu'à le vendre quand on te le proposait. Maintenant, on te l'a volé... Quelle malchance!" À toutes ces lamentations et railleries le vieil homme apportait invariablement la même réponse : "chance ou malchance, qui peut le dire ?" Les moqueries reprenaient alors de plus belle.

Mais 15 jours plus tard, le cheval revint avec une horde de chevaux sauvages. S'étant échappé, il avait séduit quelques belles juments et rentrait maintenant avec le reste de la horde. "Quelle chance !" dirent les villageois. Mais le vieillard ne montrait aucun enthousiasme débordant, conservant son habituelle bonne humeur : "chance ou malchance, qui peut le dire ?" Ses voisins ne pouvaient s'empêcher d'y voir ici une ingratitude devant la bonne fortune apportée par les dieux..

Le vieil homme et son fils voulurent dresser les chevaux pour les vendre ensuite aux riches du Royaume. Mais quelques semaines plus tard, le fils chuta d'un hongre et se brisa la jambe. Selon le guérisseur du village, il en garderait pour la vie une légère claudication. Ses amis le plaignirent alors de plus belle. "Quelle malchance ! Sans ton fils, tu ne pourras dresser les chevaux pour les vendre ! Toi qui est si pauvre"... À son habitude, le vieil homme répondit alors : "chance ou malchance , qui peut le dire ?"

Seulement trois jours après la blessure, les soldats du roi prirent position dans le village et enrôlèrent de force tous les jeunes. Ils partaient pour une campagne lointaine, au-delà des montagnes qui bouchent l'horizon, faire la guerre à un autre peuple. Tous durent suivre la troupe sauf le fils qui ne pouvait marcher avec sa jambe brisée. Pleurant de désespoir, tous les villageois prirent le vieil homme à parti : "ton fils reste avec toi alors que les nôtres vont certainement mourir à la guerre. On peut dire que la chance te sourit à toi qui garde ton fils unique !"

Vous savez ce que le vieillard a répondu. "Chance ou malchance"...

Ma vie est une vie, ni sort qui s'acharne, ni chance exceptionnelle. Une vie humaine.