IMG_4707stgueete22_DxO.jpg, août 2022
photo Gilsoub

Je me sens comme ma propre étude de cas. L’an passé j’ai dû faire un devoir sur « le travail de la maladie somatique ». Quelquefois je me demande « ou en suis-je du travail de la maladie sur moi ? » Mais je n’essaie pas de répondre, je laisse passer la question.

Hier, quand je suis entrée dans le bureau de la chirurgienne, elle m’a demandé : « bon, alors, comment allez -vous ? » J’ai fondu en larmes directement. C’est toujours assez étrange chez moi, la façon dont je peux passer du neutre aux larmes.

Nous avons commencé par parler de mes douleurs post opératoire. Ces douleurs sont dues à la cicatrisation interne. Certaines femmes ont une sensation d’anesthésie et d’autres, au contraire une sensation d’hyper sensibilité, brulure à fleur de peau. Évidemment, je suis hypersensible, c’est-à-dire j’ai des sens très réactifs, c’est-à-dire que mon système nerveux est très sensible aussi, bref, forcément j’entre dans la deuxième catégorie. Elle m’a fait une ponction de la lymphe, qui n’a pas changé grand-chose en termes de sensation et m’a prescrit de la kiné pour le drainage lymphatique. Pour les douleurs, il faut continuer à les traiter avec les antidouleurs et patienter, le corps travail et je le sens.

Puis nous avons abordé la suite. Les bonnes et les mauvaises nouvelles.
« Les ganglions ne sont pas touchés » me dit-elle. Je me sens un peu arnaquée. C’est une bonne nouvelle que je connais déjà. Je le lui dis. « Oui, mais cela a été confirmé par l’anato, maintenant on en est absolument sûr. » Ok, c’est une bonne nouvelle. « Le premier nodule triple négatif, les bords sont bien clairs ». Ça c’est une vraie bonne nouvelle.

- La mauvaise c’est qu’il fait 11 mm
- 11 mm ! putain ! (Je crois que j’ai dit ça, dans un souffle)
- Oui … ça veut dire que la chimio est recommandée. Vous pouvez la refuser. Mais vu que ce type de cancer à tendance à récidiver, c’est mieux de faire la chimio.
- Statistiquement il se passe quoi si je ne fais pas la chimio
- D’ici à 2 ans, vous avez 25% de risque de récidive.
- Ah oui, c’est beaucoup quand même
- Oui, c’est important
- Et si je fais la chimio ?
- Ça descend à 10% de risque
- Oui, ça fait une vraie différence
- Oui.
- OK
- Pour le deuxième nodule, hormono-dépendant, On n’a pas les marges satisfaisantes.
- Ça veut dire quoi « on n’a pas les marges satisfaisantes ? »
- Ça veut dire qu’on n’a pas la tumeur plus les marges autour. Ça veut dire qu’il va falloir reprendre pour cette lésion-là.
- C’est-à-dire que ça veut dire qu’on a trouvé quelque chose dans les marges ?
- Ça veut dire qu’on a une partie mais pas tout.
- Comment on sait qu’on n’a pas tout ?
- La pièce que j’enlève, elle va être refroidie, mise sur des lames coupées en tranche et donc sur chaque tranche on va avoir l’image de la lésion. La tumeur elle est sur 1O, 15 ou 13 lames et sur une lame à un endroit, entre la tumeur et le bord on a moins d’un millimètre.
- Donc on n’est pas assuré d’avoir tout enlevé ?
- Non, au niveau cancérologique, on n’y est pas. Je pense qu’ils vont nous redire : indication théorique, enlever le sein. Après la vraie question c’est de se dire « Est-ce que pour être sûr d’avoir bien les marges, on envisage d’enlever qu’une partie autour en reprenant la cicatrice et en radiographie de regarder, mettre un repère pour s’assurer d’avoir toute la zone avec les marges de sécurité ». Ou est ce qu’on se dit « ben non » et on enlève tout le sein.
- …

C’est là que je pleure à nouveau. J’ai mieux encaissé la chimio que de repasser sur le billard. Elle reprend

- Oui, je sais… Je vous le présente tel quel parce que je sais que mes collègues vont poser la question. Après, ça, ce sont les propositions, si on peut dire, de la réunion de concertation de cancérologie, mais à la fin il y a quand même une patiente qui décide. Et de dire, ben quand même, vous n’êtes pas bien vieille, enlever un sein c’est une chirurgie plus lourde sur des lésions qui sont de petites tailles quand même, quand on regarde au prorata la taille des tumeurs et la taille de votre sein…
- La question que je me pose c’est si on repart sur enlever un peu plus mais garder le sein, est ce qu’il y a un risque pour qu’au final je sois quand même obligé de faire une mammectomie en fonction des analyses de ce que vous allez retirer.
- Si on trouvait encore des marges très discutables et que soit je n’avais plus moyen de refaire une reprise de zonectomie ou si on trouvait quelque chose de plus grave, on pourrait être amené à vous dire, « oui, il faut enlever le sein » mais ce n’est pas obligatoire.
- Si vous enlevez mais qu’on arrive à avoir des marges suffisantes, on parlera plus de mammectomie à ce moment-là.
- Non. La suite ce sera la chimiothérapie à cause de l’autre lésion puis de la radiothérapie.
- Il y aura de l’hormonothérapie aussi ?
- Ça dépendra de l’analyse de la tumeur globale. Quand j’aurai tout enlevé, s’ils confirment que tout est hormonodépendant, oui, vous aurez de l’hormonothérapie.
- La mammectomie, ça n’empêchera pas la chimio ?
- Non, ça vous évitera peut-être la radiothérapie
- Mais ce n’est même pas sûr
- Non, ce n’est pas sûr.
- Donc la mammectomie, l’avantage c’est qu’on ne se pose plus la question de savoir s’il reste des cellules cancéreuses dans le sein ?
- Oui. En partie. Mais après comme on laisse la peau, on peut dire que malgré tout il peut rester quelques cellules. Mais de toute façon, on va vous suivre tous les ans.
- Oui, de toutes façons…

Je pousse un grand soupir…

- Bon, moi je veux éviter la mammectomie.
- Je comprends bien.
- Je perçois ça comme une mutilation, c’est difficile à accepter je trouve.
- Ah bah, ce n’est pas que vous percevez ça comme une mutilation, c’est une mutilation. C’est un organe non vital mais qui est très important dans la vie au quotidien. Vous avez, deux jambes, deux bras, deux seins.
- … Dans les délais ça donne quoi, on fait ça dans quel ordre.
- Opération, rapidement chimio derrière…

Puis on parlera de la chimio, puis je redirais tout, cherchant à assimiler. J’ai dû mal à sortir de son bureau, parler technique me protège de l’émotion, des pensées sur les conséquences. La façon dont le cancer va modifier nos existences.

J’apprendrai par exemple que la chimio que je vais avoir me fera perdre tout mon système pileux. Que la maladie va se voir. Il n’est donc plus question de continuer à travailler. Déontologiquement je ne peux guère accompagner des clients sur leur bobo existentiel, avec une gueule de cancéreuse. Eux aussi, ils ont de l’empathie, ils ne viennent pas pour ça.
L’idée de ne pas pouvoir travailler du tout m’a donné deux pensées simultanées, deux pôles d’une même situation. Le pôle négatif, « j’ai l’impression que ça me fait disparaitre aux yeux du monde », le pôle positif, « vis ça comme une retraite spirituelle ». J’ai de la ressource. Pour produire ces deux pensées simultanées. Assez vite, je pense projets, je mets de côtés les impossibles pour penser aux possibles. Merci à mon imagination qui me nourrit.

Je pense aussi à l’organisation familiale autour de ça. L’amoureux qui bosse à Paris avec ces aller/retour quotidien, ne va pas se taper ma part en plus de la sienne, les courses, une partie du ménage, la bouffe tous les soirs, il va craquer, je me dis. Et puis après, je pense, que la chimio c’est une injection toutes les trois semaines, je ne serais peut-être pas exit tout le temps. La merveille rentre en première, trouver un équilibre entre participer d’avantage aux taches de la maison, mais aussi lui laisser de l’air. Et moi, me sentir bien chez moi, pas me sentir en prison. La maladie me donne cette impression d’emprisonnement. Je crois que c’est ça le plus douloureux pour moi, la perte de liberté. Penser aux possibles, c’est penser aux espaces libres. Je m’accroche.

J’espère pouvoir être suffisamment en forme pour sortir, marcher, ne serait-ce que ça. J’espère pouvoir aller en Bretagne au moins pendant les vacances scolaires. J’espère avoir suffisamment de cerveau disponible pour lire, écrire, préparer une formation sur l’intelligence émotionnelle et pourquoi pas des conférences. J’en ai des sujets qui me tiennent à cœur. J’aimerai écrire sur l’articulation entre l’altérité, l’indépendance, et l’autonomie, sur l’attention au corps pour traiter l’information émotionnelle, sur la vulnérabilité et l’insécurité. Je vais arrêter mes études de psycho, mais j’espère pouvoir continuer d’apprendre pendant cette année. J’espère trouver de l’espace de vie.