IMG_6236.jpg, nov. 2022

Ça commence avec un gros coup de fatigue. Une sensation nouvelle difficile à raconter. Les images qui me viennent pour décrire cet état c’est « vider de mon sang », « tremblement interne », « plus de jus », « batterie à plat » etc… L’organisme doit certainement concentrer toute l’énergie disponible à gérer l’impact de la chimiothérapie et n’a plus rien de disponible pour le reste. Ça dure les trois premiers jours, ensuite, s’ouvre des fenêtres, minuscules au début, où s’offre un regain de sève, à peine le temps d’aller marcher 100m et c’est déjà fini. C’est seulement depuis hier que je sens que la tendance s’inverse, j’ai plus de temps avec que sans. Je me dis avec humour, qu’il y a une arnaque dans le côté « tu retrouves ton énergie la deuxième semaine », un peu comme pour le second trimestre de grossesse qu’on m’avait vendu comme un truc de foufou niveau pleine forme. Ben non, en fait, ça s’améliore, c’est vrai, mais je ne retrouve pas mon énergie d’origine, celle-là, non, je n’y suis pas. Mais ce n’est pas grave, je suis en Bretagne, et ici c’est tellement plus facile de se laisser glisser dans ce nouveau rythme.

Au troisième et quatrième jour sont apparues les nausées, l’oncologue m’a donné une rallonge des médoc antinauséeux qui ont eux-mêmes des effets secondaires de type constipation. C’est un truc aussi à admettre, la chimio a des effets secondaires, les médicaments contre ses effets secondaires en ont aussi et ça pourrait être sans fin cette affaire. Il faut donc choisir entre les maux les moins pénibles. Mais ce ne sont que des bobos, parfois usant pour le moral, mais pas grave.

L’avantage d’avoir une imagination débordante, c’est que je m’étais fait une peur de la chimio, en imaginant le pire, je suis très forte pour cela, et finalement, confronté à sa réalité, je peux me dire « ça va, en fait, ça se gère ». Ce n’est pas une partie de plaisir, mais c’est moins pire que ce que j’avais imaginé.

J’écris aujourd’hui, un jour d’éclaircie. Il y a eu des jours plus délicats, moralement. Les premiers jours que j’ai passé seule à la maison (parce que la semaine, ben, tout le monde bosse). J’avais des coups de blues. Moi qui supporte plutôt très bien la solitude en temps normal, j’ai trouvé ça difficile en état de vulnérabilité.

Je crois aussi qu’à la maison de Tours, il y a des superpositions de sensations avec les moments du deuil de François. C’est un peu comme un malabar collé sous la chaussure, on peut lever le pied, mais on a cette sensation de colle, et de fil qu’on traine partout avec soi. La maison de Tours est imprégnée du deuil de François et ce parfum ressurgie au gré de mes fragilités. Arrivée en Bretagne, je renais. Comme j’ai hâte de cette nouvelle vie. Je perçois cette phase de ma vie comme un dernier coup de karcher sur ce malabar collant. Me délester des derniers résidus de traumatismes, les laisser se dissoudre dans la chimiothérapie.

J’aime bien tisser du sens aux évènements. Par exemple, il peut y avoir celui-ci : Il y a dix ans, François mourrait d’un cancer. C’est une année anniversaire avec un chiffre tout rond comme on les aime. Cette année justement, on achète la maison de Bretagne, mon amie Stéphanie meure du même cancer, je me marie avec Gilles et un cancer d’un autre genre se déclenche en moi. Une année anniversaire bousculée, intense de changements, de transitions, avec des grands bonheurs dedans et de grandes souffrances aussi. 10 ans, c’est bien pour tourner une page.