Mon corps est le boss. Il bosse dur dans l’invisible. Pas de mots pour dire cette sorte d’épuisement. Peut-être si, mon corps n’est disponible pour rien d’autres que la survie. Si je sollicite mes sens, vue, ouie, j’ai la nausée. Mais il a gentiment laissé le gout actif, mon seul réconfort et pas des moindres. Je suis déjà tellement déprimée de vivre ces heures qui n’ont jamais été si longues dans l’abstinence totale de sollicitations, si en plus je n’arrivais pas à manger ? Mais non, je mange. Bon, après je mets deux heures à m’en remettre tant la digestion me prend d’énergie. Je dors. Ça passe le temps.

Aujourd’hui, j’ai 52 ans. Le pire anniversaire de toute mon existence, sans le moindre doute possible. Je me sens seule et triste. Voilà, c’est la vie ça aussi.

On voudrait que les autres, ceux que nous aimons et qui nous aime ait un pouvoir magique pour nous soulager. Ils le voudraient aussi. Mais non. On n’est pas soulageable. Le deuil de François m’avait appris ça déjà. Il y a des souffrances que rien ne soulage vraiment. Et parfois, cette injustice me rend injuste. J’en veux aux autres de ne pas dire ou faire ce qu’il faudrait, comme s’il y avait quelque chose de mieux à faire. Je sais bien au fond qu’il n’y a rien de mieux, rien de plus en tout cas que l’on puisse faire pour moi. Ce que je subis c’est l’inévitable. Ce qui peut être éviter l’est. Après tout je suis soignée et je vais survivre. Il y a 20 ans de ça, je serais morte de ces cancers.

Ma sœur m’a dit… Je ne sais plus quoi exactement… L’idée que j’avais l’air de vivre ça… dans le calme. Elle essayait de s’imaginer à ma place et se voyait au 36ème dessous. Je lui ai dit qu’elle n’aurait pas assez d’énergie pour être lyrique. C’est une private joke entre nous. Je ne suis pas particulièrement courageuse, ni calme, ni forte. Je n’ai pas une force morale héroïque. Je sanglote comme une petite fille quasi chaque jour. J’essaie de m’accrocher aux branches comme je peux, je convoque l’amour chaque jour, mais je lâche les branches aussi, quotidiennement, je laisse couler mon moral en larmes salées, et ma colère aussi et mes peurs.

Je voudrais bien avoir la foi. Foi en un sens à donner à tout ça. Mais j’avoue que mes beaux discours se sont dissous. J’ai des pensées plutôt négatives du genre « je vais me remettre et l’épreuve d’après, ce sera quoi ? » J’en peux tellement plus. Je voudrais pouvoir prier un Dieu et lui dire « s’il vous plait, épargnez-moi, j’ai assez souffert pour une seule existence, je voudrais juste être tranquille » Ah tiens, le voilà, mon lyrisme qui repointe le bout de son nez. Ou vais-je puiser de la sécurité ? Dans l’oubli, probablement. J’oublierai cette souffrance, elle sera refoulée, dès que l’énergie reviendra, dès que mon corps m’autorisera à faire autre chose que survivre, j’oublierai et ce sera tant mieux.

Je n’ai pas de leçon à tirer. Oui, je pourrai me dire « ok, le corps c’est le boss, maintenant tu vas te consacrer à lui » Mais c’est un fantasme de toute puissance. Je vais faire ce que j’ai toujours fait, de mon mieux, et ma vie connaitra d’autres accidents, parce que la vie est comme ça, à la fois magique et fragile, mon corps est comme ça magique et fragile.

J’ai lu un titre d’article sur le truc qui nous envoies des images magnifiques de l’espace. Je sais plus comment il s’appelle. Bref, ça disait qu’il partait aux confins de l’univers pour chercher des images du big bang, du commencement mais que si ça se trouve, il n’y a pas de commencement. Cette idée m’a fait du bien, parce que s’il n’y a pas de commencement, il n’y a pas de fin non plus…