Elle est rentrée cette année en terminale. Elle sait ce qu’elle veut depuis si longtemps et l’année prochaine sera le début, son entrée à l’université, pour entamer des études d’archéologies. Elle vise Montpellier. L’autre bout de la France.
Je suis emplie d’émotions qui semblent contradictoires, fierté, joie, angoisse, chagrin, et je voudrais éclaircir mon paysage émotionnel et le partager. Qui sait, il est peut être universel, comme le sont souvent les émotions.
Je ne m’étais pas rendue compte que ma vie tournait autour d’elle, qu’elle en était devenue le centre gravitationnel. Presque 17 années, qui ont filés si vite. Je ne m’étais pas rendu compte, j’ai continué à vivre ma vie, je ne me suis pas oubliée, pas du tout, aucun sacrifice. Quand son père est mort, je suis devenue une forteresse pleine de failles, une forteresse pour la protéger, avec beaucoup d’amour dedans et beaucoup d’épuisement aussi, une forteresse avec elle au centre. J’ai fait de mon mieux, dans une sorte d’évidence, elle est ma priorité, ça ne s’interroge pas, ça n’est pas discutable. C’est comme ça. Je l’ai regardé grandir, j’ai essayé de lui donner des bons outils pour traverser la vie. J’ai admiré son enthousiasme, sa curiosité, son courage, sa volonté. Nous avons formé une équipe soudée, indéfectible.
Elle va partir, je dois ouvrir la forteresse et la laisser voguer à travers l’existence. Je ne m’attendais tellement pas à ce que ce soit si dur. Je sais que c’est le sens de la vie, je sais qu’elle est bien équipée pour son voyage. Ma joie de la voir s’épanouir est habillée de la peur de n’être plus là, dans son quotidien, pour la protéger. Elle va vivre sa vie, avec son lots de joies et d’épreuves, mon rôle va changer.
Nous avons une année pour profiter encore de ce qui est et pour nous préparer aux changements.
Je sais que ma peur est teintée du traumatisme de la mort de son père, il y a dans ma chaire inscrit le souvenir de cette angoisse, quand je me suis éloignée pour reprendre des forces et qu’il est mort durant mon absence. C’est comme un bug, mon corps a associé mon absence à la mort. Curieusement, je n’étais pas du tout angoissée par la suite quand je confiais ma fille à d’autres adultes pour des vacances, je déléguais fort bien mon rôle. Aujourd’hui, c’est à elle que je dois le déléguer. Elle va devoir se protéger elle-même, mais dans mon cœur de mère, elle est toujours cette petite fille de 5 ans qui a perdu son père et à qui il ne reste que moi. La rationalité n’a aucun effet sur cette peur là. C’est comme si mon corps suivait toujours le même chemin de symptômes qu’on appelle “angoisses”, sans que j’ai la moindre prise dessus. Ça monte jusqu’aux larmes puis ça redescend et ainsi de suite, c’est un océan.
Elle, elle est partagée aussi, entre le désir et l’excitation de l’indépendance, de sa futur vie d’étudiante, et la peur de ce grand inconnu qu’est l’avenir. Ça lui donne des vertiges. C’est vertigineux en effet. Alors je lui ai demandé : “que fait on quand on a le vertige ?” Elle m’a répondu “On ne regarde pas en bas” puis elle a rit ” le déni !!!”, j’ai dit : ” ben voilà, ne regarde pas l’abîme, juste un pied devant l’autre, le regard droit devant. Et que fait on d’autres ?” elle a dit ” On s’accroche ?” J’ai dit ” Oui, on s’accroche, on se tient à quelque chose, quelqu’un.” On a souri et puis elle a changé de sujet.