Depuis deux ans, j'anime, chaque premier mardi du mois, un atelier "indéfinissable" pour une association qui soutient des personnes ayant, ou ayant eu, des problèmes d'addictions. Ce groupe n'est pas réservé aux femmes mais il n'y a que des femmes qui participent. La plupart ont été alcooliques. Je ne connais pas leur histoire. Elles parlent de leur présent parfois. Dans cet atelier nous pratiquons de la relaxation, des temps d'échanges autour d'un thé ou café et biscuits, et nous essayons de faire un peu de théâtre. Ce groupe est ouvert, les personnes ne sont pas souvent les mêmes d'un atelier à l'autre, à part deux ou trois fidèles. S'engager est difficile.

Ici, se côtoient différents milieux socio-culturels, anciennes profs, anciennes infirmières, anciennes mères aux foyer, anciennes commerçantes, etc. Elles sont toutes "ancienne quelque chose" parce que l'alcool est passé par là et a tout dévasté. Elles se reconstruisent petits bouts par petits bouts. Certaines d'entre elles y ont laissé des capacités physiques qui ne reviendront pas, d'autres des capacités de concentrations, et parfois même de compréhensions qui ne reviendront pas non plus.

Ici, règne la bienveillance, le soutien, la compréhension intime entre elles de ce que chacune a traversé et continue parfois de vivre.

Pour cette 3 ème année, je leur ai proposé d'essayer le clown. La possibilité pour les fidèles de commencer à élaborer quelques choses dans la durée, la possibilité pour les autres de venir improviser de temps en temps.

Nous avons dessiné un nez rouge sur nos masques et en avant. J'aime voir leur fantaisie à l’œuvre, leur générosité, leur pudeur et leur timidité se laisser surprendre par un culot soudain, leurs yeux qui pétillent, leurs yeux qui sourient et entendre leur rire.

Mardi dernier, l'une d'elle est arrivée avec un gros sac de larmes qu'elle a commencé par vider autour du thé. Avec la Covid, elle ne peut plus rendre visite à sa mère et ça lui coute énormément, cette coupure, et puis des tracas, une accumulation de petits riens qui la mettent sur les dents. Et puis la culpabilité d'avoir craqué. Quand elle a eu vidé son sac de larmes, chacune y est allée de son encouragement. Et puis nous avons commencé.

La poésie du clown est merveilleuse. La consigne était : "Comme le bébé, vous découvrez que vous avez des mains, c'est incroyable et merveilleux". Je regarde cette femme, fermer les yeux, les ouvrir, découvrir sa main et puis, découvrir qu'une main, ça caresse. Lentement, elle passe sa main sur son bras, avec une énorme attention et voilà que son clown la câline, la console. C'était ... wow.

Ensuite, nous avons joué à deux, à cinq, une à une, qui s'est lancé dans le vide, qui a passé le balais avec obsession, qui a mené sa troupe de petits oisillons perdus avec douceur, qui avec une énergie toute militaire. On a rit, beaucoup et c'était bon.

Quand je leur dis "au revoir" toujours elles me remercient, et me remercient encore, ça déborde d'elles, cette reconnaissance, et toujours je leur dis "merci, remerciez vous également, vous êtes formidables". Elles le sont. Fortes, généreuses, courageuses, elles ont manqué de soutiens, elles ont manqué d'outils, elles ont manqué de rencontres profitables, elles ont manqué de beaucoup de choses, mais qu'est ce qu'elles donnent !

Ma participation au jeu proposé par Kozlika ici