Après une nuit qui porte conseil, j'ai relu ma lettre de motivation pour postuler à cette formation et j'y ai redécouvert cette phrase : "Mes proches, mes élèves, m'ont souvent dit que je devrais être thérapeute, que j'avais un « don ». Je m'y suis refusée jusqu'à présent car j'ai parfaitement conscience du fossé qu'il y a entre aider une personne de son entourage et participer aux soins d'un patient, qu'il y faut plus que de l’instinct, qu'un « don » en la matière signifie surtout une façon d'être aux autres.
Or, Dimanche, le formateur de la session à dit ceci : " il y a une chose que nous ne pourrons pas vous apprendre c'est votre façon d'être aux autres".
Du coup après la deuxième nuit qui porte conseil je me dis que "ce don" que tout le monde me voit et que j'ai toujours dénigré comme ayant peu de valeur ou peu de sens, faisait sans doute une bonne base sur laquelle construire mon futur métier d'Art-thérapeute.
Il est des questions qu'il est bon de se poser mais auxquelles on ne peut pas répondre avant d'en avoir fait l'expérience : " Saurais je avoir la bonne distance ?" est l'une de celle qui me tracasse. Je me vis comme une éponge (mais le suis je réellement ?), c'est à dire que la douleur d'autrui (des gens que j'aime, en fait), en plus de l'éprouver et de la comprendre, impacte sur moi, miroir, miroir, projection contre projection. La bonne distance c'est conserver cette faculté d'éprouver et de comprendre sans que cela impacte sur moi. On s'attache certainement à certain patient, comment rester utile, comment ne pas se faire du mal à soi même quand on prend trop sa part dans la souffrance de l'autre, comment ne pas trop prendre sa part, sans se couper de l'affecte ? En même temps j'écris ça et je me dis que souvent, quand je suis positionnée dans le moment d'écoute, j'ai de la distance naturellement. Le danger vient de la surprise, de la douleur qui vous saute à la gueule sans prévenir. Et ça, qui peut se targuer d'avoir du recul sans être parfaitement indifférent ? Cela me fait penser aussi à mon métier de comédienne. Je n'ai jamais été impactée par un rôle, si dramatique soit-il. J'ai toujours su déposer le personnage sur le porte manteau de son costume. C'est un bon outil sans doute à méditer pour répondre à cette question.
L'autre grande question c'est le milieu, les équipes, le mode de fonctionnement des institutions dans lesquelles je vais avoir à m'intégrer. Art-thérapeute est encore un métier très peu connu, s'il commence à être regarder avec bienveillance et encore pas toujours, c'est un fourre tout, tu fais de l'Art, tu travailles avec des personnes en difficulté, tu es Art-thérapeute. Or c'est plus compliqué que cela et plus précis aussi. Ce cadre ce sera à moi de le donner. Les cadres et les limites, on y revient. Les poser sans violence, les assumer, bien connaitre ses limites, savoir dire non. Savoir aussi "vendre sa pratique" pour donner confiance, pour être respectée, prise en compte. Se retrouver parfois confrontée encore à des égos surdimensionnés (le pouvoir du soignant) moi qui les fuis déjà dans le milieu théâtrale.
Enfin, ou ai je envie de travailler ? Avec quel type de patient ? J'allais dire publique. Spontanément ce qui me vient à l'esprit pour être le plus global possible se sont toutes personne venant de vivre ce qu'on appelle "un accident de vie". Ces choses qui anéantissent votre existence mais qui vous laisse en vie, il faut bien reconstruire sur cette base là, la vie qui reste. Pourquoi ? Ceux qui me lisent régulièrement ici doivent bien le savoir. Je me sens armée parce que j'en ai pas mal traversé de ces accidents de la vie et chaque fois il m'a fallu reconstruire et en ce moment même je suis en plein dedans. Cela suscite une question, est ce que je ne prend pas le risque important d'être dans la projection ? Est ce que ces vies en bascule ne vont pas venir réveiller douloureusement mes propres failles ? Mais je viens de dire que je me sens armée. Parce que j'ai survécu. Saurais-je écouter, prendre en compte la différence de l'autre, saurais-je l'aider à trouver son propre chemin ? Saurais je prendre garde chaque fois à ne pas croire que j'ai "le mode d'emploi" ?
Mais peut être qu'il ne doit pas y avoir de réponses à ces questions, peut être qu'elles doivent rester présente tout au long de la pratique d'un soignant, comme les gardiennes d'une pratique saine.
7 réactions
1 De Sacrip'Anne - 20/11/2012, 10:01
Tu vois, c'est bien ce que je te disais : tu as DEJA la réponse LOL
(Et en plus, bien plus détaillée et mieux racontée que dans ma formule).
Huhuhu.
Plus sérieusement, je suis contente que la nuit t'ait porté conseil.
2 De fille silencieuse - 20/11/2012, 17:51
Des interrogations en eco comme souvent... j'ai un positionnement un peu plus clair concernant certaines questions, et totalement flou concernant d'autres! Pour moi la posture du soignant est fondamentale et il y a deux éléments qui me semblent plus qu'important sinon vital pour le thérapeute : son centre à lui, c'est cette accroche à son centre, sa réalité intérieure (base de ce que Freud appel le transfert et le contre transfert) (sujet du centrage sur lequel on travail en sophrologie dynamique), si le thérapeute est ancrée chez lui et capable d'identifier ce qu'il ressent dans l'écoute du patient, il y a moins de risque d'absorbtion de l'autre (de ses douleurs, ses tristesses). Et puis il y a le rapport à l'autre comme autrui/étranger à soi, qui porte donc sa propre histoire. Cette posture centrée est aussi une garantie de la liberté de l'autre, de son autonomie à prendre en main sa propre vie, ce qui évite le phénomène "j'ai la recette c'est celle-là qu'il faut appliquer" parce qu'il y a une conscience accrue de l'individualité de chacun. Le thérapeute n'est qu'un accompagnateur, un soutient qui propose des outils qui conviendront ou pas à la personne, mais ce n'est que la personne qui peut s'en saisir (ce qui passe par différents éléments). écouter de son espace à soi, et proposer de nouvelles perspectives au travers des outils qu'on maîtrise, cela résume bien le travail d'un thérapeute.
Je te rejoins : ces questions sont saines!!!
3 De andrem - 20/11/2012, 22:50
Bonnes questions, et comme souvent réponses formulées juste comme on n'avait pas encore fini de se les formuler en moins bien que tu l'as déjà fait en mieux.
Mais hop, j'ai trouvé de quoi commenter quand même. Tous ceux qui viennent ici savent de quoi il retourne, et savent comme il est indélicat de pontifier sur la question de vie réduite à néant, à reconstruire comme tu l'écris. Or c'est là-dessus que je viens pontifier.
Il est de ces moments, interminables et intolérables, où en effet l'on se sent dans cet état, bien des mots existent et tu les sais mieux que moi. Mais j'ai appris, enfin j'espère l'avoir appris, qu'il n'y a jamais de fond du trou ni d'impasse. Prends un jeu de lego, voilà, c'est la vie devant toi.
Tu construis. On dit d'un enfant qu'il se construit, moi je dis qu'il construit. Dès qu'il est sorti du ventre confortable et qu'il a gueulé sa colère, il construit, il saisit tout ce qui passe à sa portée, paroles, sons, gestes, objets, outils, exemples, douleurs et plaisirs, et avec ces briques toutes de broc, il construit, une vie, la sienne.
Parfois, souvent, trop souvent, quelque malfaisance vient écraser le château de lego, mille pièces éparpillées. Ce n'est pas un départ à zéro, c'est la continuation de la construction. Ce qui était est encore bien qu'anéanti, car il se souvient des gestes, il se souvient des hésitations, il se souvient de la valeur des pièces, les planches pourries et les solides piliers. Le château sera autre mais riche des précédents. Ce n'est pas une reconstruction, c'est la continuation de la construction.
De toute façon, il n'y a pas de plans en dehors de ceux sur la comète, seulement emboîter les pièces au gré de ses envies, de ses possibilités, de ses urgences, et de l'équilibre des forces du chaos environnant.
Guy Bedos disait dans ses péroraisons de spectacles : "Tu pleures tu ris, tu ris tu pleures". C'est exactement cela, à condition d'ajouter : tu ne cesses de construire au milieu des hoquets et des cahots, jusqu'à ton dernier souffle qui sera la dernière pièce à l'ouvrage.
4 De Luce - 21/11/2012, 09:58
Andrem : J'ai répondu chez toi. Merci en tout cas. C'est bien chaque fois que tu oses pontifier, ça m'apporte un peu de lumière ;-)
Fille silencieuse : "c'est cette accroche à son centre, sa réalité intérieure" Oui, sans doute, la question est, saurais je le faire ? Et je n'y répondrai qu'en essayant et en gardant ça à l'esprit.
Anne : Pas vraiment de réponse mais en tout cas l'acceptation de la question qui n'est plus un frein mais un compagnonnage ;-)
5 De fille silencieuse - 21/11/2012, 11:53
Moi je ne doute pas une seconde puis que tu sais DEJA le faire! Il n'y a plus qu'à s'appuyer sur quelques techniques pour s'assurer de la persistance de ce centre! Ou plutôt la possibilité d'y être autant qu'on le souhaite!
6 De Marylène - 22/11/2012, 11:50
Je vous lis depuis peu, mais avec attention et bienveillance. Je n'ai jamais commenté parceque certains mots sonnent faux. Simplement vous dire, que je traverse une passe difficile et que vos billets, vos réflexions, et même l'expression de votre souffrance m'accompagnent et me font avancer. Alors cette formation a plus qu'un sens, elle est une nécessité pour vous et les personnes que vous allez accompagner
7 De Luce - 22/11/2012, 17:18
Marylène : Merci de votre témoignage, j'en suis très touchée. Bon courage à vous.