Ma grand mère qui était une femme très belle, m'a raconté qu'en vieillissant, le fait que les hommes ne se retournent plus sur elle dans la rue lui manquait, elle y voyait un hommage à sa beauté. J'essaie d'imaginer ce qu'était les quolibets de son époque et je l'imagine assez bien moucher le titi parisien qui dépassait les bornes. Était ce vraiment différent de maintenant ou ma grand mère avait elle juste intégré cela comme une telle normalité qu'elle n'en voyait pas les conséquences ? Était-ce une façon de me dire, "profite tant que ça dure"? Comment profiter de ce qui m'est pénible ?.
Ma mère, qui elle aussi était une très belle femme, me racontait que dans la rue elle se faisait interpeller parce qu'elle était rousse. Elle entendait des phrases comme " Et fais voir, c'est pareil en bas ?". Elle riait en me racontant cela. Et moi je me demandais ce qu'il y avait de drôle, est ce que je n'avais pas d'humour ? Le harcèlement de rue a t-il changé de visage ? Ou les femmes sont elles devenues plus consciente du prix de tout cela ?
Moi, quand j'avais entre 15 et 25 ans, je ne pouvais pas faire un trajet de métro sans être abordée, siffler, plusieurs fois. J'ai entendu des "tu mouilles salope" et des "vous êtes charmantes mademoiselle", je n'ai apprécié ni l'un ni l'autre. Le second est peut être pire, parce qu'avec son vernis de compliment, il cache la réelle motivation, qui n'était pas de me faire un compliment mais d'obtenir de moi une reconnaissance "oh mon dieu on m'a dit que je suis charmante, je dois vite remercier ce jeune homme en me jetant à son cou". Contrairement à ma grand mère, je ne crois pas devoir être reconnaissante du fait qu'on me trouve jolie, mais comme elle, j'ai plaisir à plaire. Je n'ai aucun plaisir à être abordée, reluquée, comme un morceau de viande. Il est très facile de faire la différence entre un regard lubrique et un regard admiratif.

J'entends beaucoup d'hommes ne pas comprendre la différence entre une drague et une agression. J'ai envie de dire que la drague est une agression. La drague est une chasse, il y a un prédateur et il y a sa proie. Ce n'est pas agréable d'être une proie.

Le charme c'est autre chose, la séduction c'est autre chose. J'ai vécu une fois un acte subtil de charme dans un bar. C'était si rare que je m'en souviens encore. J'étais avec une de mes sœurs, dans un bar Irlandais Parisien. Deux femmes seules dans un bar sont toujours abordés, le plus souvent comme des proies potentielles rarement comme des êtres humains. Cette fois là, il y a eu beaucoup d'imbéciles que nous avons éconduit avec plus ou moins de patience, plus ou moins d'humour et plus ou moins de subtilité selon le chasseur qui nous abordait. Mais un homme c'est comporté respectueusement tout en exprimant son admiration à notre égard. Il a demandé à un vendeur de roses de nous en donner une à chacune de sa part. Un peu interloquées nous avons commencer par craindre qu'il vienne à notre table pour réclamer "son dû de reconnaissance". Il n'en a rien fait, il a juste levé son verre en notre direction, comme un salut. Il est resté à sa table, il ne nous a pas parlé, il ne nous a rien demandé. Nous lui avons rendu son salut en levant notre verre, nous nous sommes même autorisées à sourire et nous sommes restées assise à notre table parce que c'est là qu'on avait envie d'être. On a eu le choix. Son geste était un compliment en effet, parce qu'il était gratuit, il n'a rien attendu et encore moins exigé de nous en retour.

La séduction est faite de complicité, la complicité n'est possible que dans le respect. Le dragueur ne se soucie que de son propre désir, et la plupart du temps supporte mal la frustration, c'est pour cela qu'il passe si facilement du "vous êtes charmante" à " sale pute". Un homme a le droit de trouver une femme jolie, il a même le droit de lui dire, il n'a pas le droit d'attendre d'elle quoi que ce soit en retour. C'est "cette attente" qui souvent même devient "une exigence" qui est intolérable. J'ai le droit d'être jolie, d'être séduisante sans avoir le devoir de satisfaire les fantasmes que cela génère. Je n'attend pas d'un homme séduisant croisé dans la rue qu'il me parle, qu'il boive un verre avec moi, qu'il me suce, sous prétexte que je lui ai fait l'honneur de le trouver séduisant.

Il est temps que ces hommes apprennent à gérer leur désir, leur fantasme, sans en faire porter le poids aux femmes qu'ils croisent. Il est temps qu'on exige de ces hommes qu'il laisse aux femmes la liberté d'être belle dans la rue, sans subir leur désir.

Je voudrais que ma fille, quand elle aura l'age de sortir sans moi, ait la possibilité de se promener dans la rue sans avoir peur. Je voudrais qu'elle n'ait pas a apprendre des techniques d'esquive et de soumission pour éviter les ennuis. Je voudrais qu'elle puisse marcher la tête haute, le cœur léger, et le sourire aux lèvres, libre d'être elle même, dans toute la puissance de sa beauté et de son charme sans en payer le prix. La liberté n'a pas de prix.

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