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Ce pays est merveilleux, il a la douceur, la grâce, la beauté de ces baleines qui y passent et nous salut de leur chant. Je crois que j'ai été chaman indienne ici dans une autre vie, étrange sensation d'être rentrée à la maison alors que tout est si nouveau en même temps.

Je pourrai vous détailler cette journée, vous parler de l'accoutrement burlesque dont on nous a affublé pour monter sur le bateau, vous décrire l’appréhension de la grande qui n'aime pas être sur l'eau, l'impatience de la merveille. Vous décrire le bal des rorquals petits et communs, les petites tâches blanches que forment les bélugas sur l'horizon, les têtes de phoques sortis de l'eau tel des concierges de mer. Je pourrai et ça ne vous dirai rien. Il fallait y être pour éprouver cette émotion unique quand la nature se fait spectacle et qu'elle vous montre que vous lui appartenez.

Les baleines sont des danseuses, se sont elles les sirènes. De loin ou de près, ça n'a pas beaucoup d'importance, parce que je sens leur présence. Mon regard toujours appelé juste avant l'apparition, je ris, je cris là, là et la merveille suis mon doigt dans la seconde et s'exclame, "je vois !" Et les autres sur le bateau tournent leur appareil photographique toujours une seconde trop tard. (J'ai oublié le mien au chalet, acte manqué fort réussi. ça m'a permis de décider de ne pas en faire même avec mon téléphone.)

Quand le moteur du bateau se tait, au loin une légère brume nous donne la sensation de naviguer vers le pays des rêves. Les premiers dos de baleines apparaissent, oscillation infinie, danse océane. Tout est si calme. Mais je crois que le calme est surtout en moi, car j'entends bien à bord, un bébé pleurer, et d'autres gens parler. Mais c'est si calme.

Le voyage vers elles nous a bercé, la merveille s'est même endormi un moment. Elle savoure ce moment à sa façon. Je ris de sentir sa joie, son émerveillement. Elle ne sait pas encore vraiment la chance qu'elle a. Mais moi je le sais, c'est de mon age de le savoir.

Ce matin nous avons parlé de la mort de son papa, de ce que cela nous avait appris sur la vie. Je lui ai dit que les grands malheurs nous apprenaient quelques choses sur la vie et que moi j'avais appris de la mort de son père qu'il ne fallait pas attendre trop longtemps pour réaliser ses rêves et saisir l'occasion qui se présente. Peut être que s'il était vivant, nous ne serions jamais venu ici, cela serait resté un rêve, installé que nous étions dans notre vie. Mais le malheur de sa perte m'a réveillé. La vie est ainsi, c'est sa beauté et son paradoxe. Elle m'a écouté et elle m'a dit "Maman, je t'aime".

Son émotion à elle lui appartient, de même que l'émotion de la grande toute intérieure. Nous sommes ensembles mais nous sommes seules comme pour toutes les grandes émotions. Il faut que nous le soyons pour être entièrement tournées vers ces instants uniques. Plus tard, sur la terre ferme, et même peut être après la nuit, viendra le temps du partage.

Quand le bateau reprend le chemin du port, je verse une larme. Ce n'est pas l'adieu aux baleines mais la reconnaissance. Je pense " merci, dame nature, mère nature, de m'avoir accueillie en ton sein, de m'offrir ton spectacle. Tout peut être si beau et la beauté est un soin précieux. Merci, infiniment..." Une douce larme comme ce pays que j'aime et qui ne me quittera jamais même quand je reviendrais vers vous. J'emporte avec moi, inscrit dans mon cœur, tout ce qu'il m'a donné. Et mon cœur s'en trouve agrandit encore...

Ce texte est décousu et je ne veux pas le rapiécer. Il est ce qui devait sortir de moi pour aller vers vous. Je suis descendue du bateau il y a tout juste deux heures. J'écris face à la baie. Je lève les yeux, au loin un phoque vient de plonger. Je souris. Un oiseau vole au ras de l'eau, son reflet le suit. Je souris. La rive de l'autre côté du fleuve se distingue à peine tant elle est loin, et se confond avec le ciel. Je souris. Je pense à François, je souris. Je pense à l'avenir, je souris. C'est mon sourire que j’envoie vers vous tous qui me lisez depuis plus ou moins longtemps et qui avez reçu beaucoup de mes larmes. Mon sourire émue de femme vivante.