Jour 1

Je viens d'entrer dans la grande aventure du cancer du sein. Il y a un mot qui désigne les "grosseurs" dans ce genre de cas que je me refuse à dire parce que ces sonorités sont de mauvais augures. On a déliré avec une de mes soeurs pour lui trouver un nom, on a pensé à "celui dont on ne doit pas prononcer le nom", mais on a finalement opté pour "bidule". Alors bidule est tout petit, 7,5 mm. Pour l'instant le programme c'est Rdv tout à l'heure avec gynéco/chir/. Prévoir une date pour opérer et virer bidule de là, puis séance de radio thérapie. Pour avoir accompagnée quelques personnes dans ce voyage, je sais qu'il est plein de rebondissements. J'ai posé, avant de savoir cela, qu'ayant perdu mon insouciance après la mort de François, dans l'impossibilité de la retrouver, pour faire face à l'insécurité que cela implique de savoir dans sa chair que nous sommes mortels tout en vivant pleinement sa vie, je n'avais d'autres choix que d'avoir la foi. Pas en Dieu, ce n’est pas mon truc, mais dans le vivant. De me reconnecter avec l'amour du vivant, seul rempart à la peur. Lâché prise, et faire le choix de la confiance. Là-dessus, Louise attrape la mononucléose et moi je découvre que j'ai un bidule dans le sein gauche. Bien, disons que ma "foi" est mise à l'épreuve. Mais au fond, quoi qu'il se passe, l'important c'est d'aimer.

Jour 3

Une jeune femme se présente, elle a une voix agréable, douce et vive en même temps. Elle s'excuse de son retard. Elle explique pas à pas ce qui va se passer. Elle passe en revue les différends "menus" c'est son expression. Elle choisi ses mots avec intelligence, elle parle de "variations" et pas de "problèmes" ou "soucis". Pendant l'entretien je me sens bien. Je suis concentrée et puis il y a quelqu'un qui m'explique quelque chose, j'apprends, j'aime ça. Elle me laisse le temps de reformuler, je m'assure que j'ai bien compris. Et puis au bout d'un moment, je ne l'écoute plus, trop d'informations, mon cerveau refuse de s'y intéresser, il disgresse... Chimiothérapie. Médicament à la mauvaise réputation, celui qui révèle la maladie, appelé poison parfois. Je préfère l'envisager en potion, comme je l'ai dit à mon ami N. N'oublions pas le suffixe thérapie. J'ai tout un tas d'ordonnance, d'examens complémentaires à passer, IRM, petscan, je connais ce protocole, j'ai accompagné suffisamment de personne dans cette situation pour connaître le vocabulaire. Selon les résultats, se sera, d'abord opération, puis chimiothérapie puis radio thérapie ou, d'abord chimiothérapie, puis opération et radio thérapie. Ok tout est clair, j'ai bien compris.

Nous évoquons mon désir de vacances Bretonne, on peut envisager de faire la chimiothérapie en Bretagne me dit-elle, chouette. Je questionne la suite de mes études. Elle me conseille le distanciel pour deux raisons : Me protéger du covid, suivre mon propre rythme. J'envisage déjà de faire cette L3 en 2 ans, je ne pourrais probablement pas faire le stage en étant en traitement. J'ai bien fait d'attendre avant de m'inscrire à Tours d'en savoir plus. Adaptation constante, laisser l'avenir ouvert, vivre au présent, je reconnais ça. C'est le soin qui va guider ma vie. Mon job c'est de laisser de l'espace à la vie.

Je réapprends dans cette expérience que la famille c'est bien, c'est soutenant. Mon mari, ma fille, mon beau fils et moi nous faisons clans et c'est bon. Et puis mes frangines, elles sont trop mignonnes. Et puis il y a les messages de soutien qui arrivent. J'ai envie de dire "tout doux, on se calme, ça n'a pas encore vraiment commencer, garder de l'énergie pour quand je vais vraiment en chier". En parler, écrire, et entendre, lire les réactions, percevoir les émotions des autres m'aide à sentir la mienne, m'aide à sortir du détachement sidéré. Mais pour être honnête, je n'ai pas encore réalisé que cette fois ci, c'est bien à moi que ça arrive. J'ai plutôt l'habitude d'être le personnage secondaire de l'histoire, l'aidant, mais cette fois ci, j'ai décroché le rôle principal Pour celles et ceux qui ne savent pas quoi dire dans ce type de situations, ben déjà vous n’êtes pas obligé de dire quoi que ce soit, et puis aussi les métaphores guerrières c'est pas mon truc, j'ai besoin surtout de douceur et d'amour. On n'imagine pas combien la douceur est nécessaire au courage. Alors je prends tous les chaudoudoux. Et je vous embrasse.