[Photo Nicolas B |https://www.facebook.com/nicolas.bourgouin]

Nous nous sommes connus, nous avions la vingtaine. Il était le voisin d’une amie. J’allais peu chez elle, pour ses anniversaires le plus souvent. C’est là qu’on s’est croisé. De cette époque je me souviens qu’on était jeune et con, pas si con en vrai, enfin pour notre âge en tout cas. Et puis j’ai quitté la région parisienne et nous avons perdu le contact.

Il y a dix ans, François est mort, mon grand amour, le père de ma fille mourrait d’un cancer du Poumon. Lui, Nicolas perdait son père d’un autre cancer, peut-être plus tard, je ne sais plus. Peu importe. Nos routes se sont croisées à nouveau par les réseaux sociaux. Je me souviens d’un coup de téléphone. Nous avons parlé du cancer, du deuil. Et puis c’est tout. Plus rien, jusqu’à il y a quelques mois.

Il y a quelques mois donc, il commence le récit de son propre cancer, un autre encore, différent, au jour le jour, tel qu’il le vit. Il faut vous dire, (je ne sais même plus si je lui aie dit) mais peu avant je venais de perdre une amie proche, d’un cancer du poumon, comme François. J’ai accompagné cette amie dans sa fin de vie, j’ai accueilli sa fille à la maison quelques mois après son décès, bref, le cancer s’était à nouveau invité dans ma vie. J’étais secouée, et quelque chose en moi était mort à nouveau, comme pour le premier deuil. Cette chose en moi c’était la confiance.

Je commence la lecture de son récit, je suis dans ce deuil, dans ce quelque chose en moi qui est mort et je ne sais même pas le nommer. Je commence un chemin de peur, de peur bleue. Le surgissement de la maladie dans ma vie, j’ai à ce moment l’impression que c’est une guerre, je vois autour de moi ceux que j’aime sauter sur des mines, c’est tout près. Il faut vous dire aussi, qu’il y a deux ans, une de mes sœurs a eu un cancer du sein (encore différent), qu’elle est vivante et qu’elle va bien et cette année-là aussi, le grand pote de François est mort d’un cancer de poumon, toujours lui le tueur.

Je commence la lecture de son récit donc, le récit de Nicolas. Dans cet état, avec ma peur bleue déjà là. Il s’opère en moi un autre inattendu, le lire me fait du bien. Il place son récit là exactement où ça fait du bien, là où il y a béance chez moi depuis la mort de mon amie à moins que ce ne soit depuis la mort de mon mari. Au début, ma peur s’active, elle devient si forte que j’en tombe malade, mal au bide. L’inattendu, le surgissement du malheur possible à chaque instant, ça fait tellement peur, tellement peur…

Au fil de ma lecture, autre chose s’invite, l’humour d’abord, une bouffée d’air incroyable, l’humour qui habille sa propre peur vient habiller la mienne d’autres couleurs, de bleue elle devient arc en ciel, elle se fait plus légère, la tragédie lyrique qui est en moi devient comédie. C’est ma première gratitude pour lui. D’avoir donné cette légèreté.

Chaque jour, fidèle au rendez-vous, je lui laisse un commentaire, je n’évoque pas mon histoire, en tout cas pas celle immédiate, j’essaie de trouver des mots de soutien qui soient juste, on se parle de présence au présent, on se parle d’amour du vivant, ces mots que je trouve pour lui, me soutiennent aussi. Notre dialogue me mène doucement jusqu’à la conscience de cet acte de foi nécessaire à poser, la confiance. Quelques soient les possibles, quelques soient les inattendus, décider la confiance, lâcher donc les anticipations devenues inutiles. Tout ce chemin de mots que nous avons semés me reconnecte à mon essentiel, l’amour du vivant qui ne peut se vivre qu’au présent et c’est beau.

Il y a quelques semaines, j’ai appris qu’à mon tour, j’avais un cancer du sein, un dont on guérit bien. Et ce matin je me dis : « heureusement, notre dialogue est passé dans ma vie, heureusement Nicolas a placé son récit dans cet endroit exact de la beauté, de l’humour et de l’amour, heureusement cette rencontre et mes retrouvailles avec la confiance parce que sans cela, dans quel état m’aurait surpris cet inattendu ? » De là, je peux me dire aussi : « tu vois, tu as raison d’avoir confiance, bien sur le cancer du sein c’est une épreuve, mais aussi la vie t’a donné justement ce dont tu avais besoin pour la traverser »

J’ai dit à Nicolas, déjà, que j’avais du mal à écrire mon propre récit, lassée du monologue, mais aussi je crois qu’il a donné le ton et qu’en parlant de lui, ici, en m’adressant à lui d’une certaine façon, je peux entrer dans cette tonalité de la joie et de la confiance.

La résilience est possible parce qu’il y a une/des altérités qui « tutorisent ». C’est exactement cela. Il ne peut pas y avoir de monologue pour moi, là. C’est dans l’altérité que nous traversons cela. C’est beau l’altérité. Merci Nicolas.

Peut être que c'est là que mon récit se place, vous parler de ces autres qui font ma résilience...