6934A5AB-7649-45AB-B73D-E521049B5B93_Fotor.jpg, août 2022

Bon, ma chirurgienne vient de me rappeler. Elle devait le faire hier mais elle a dû s’occuper d’un accouchement avec complication, elle a fini trop tard pour pouvoir m’appeler. On ne peut jamais en vouloir à nos médecins de nous faire attendre.

J’ai pu poser les questions qui me taraudaient alors même que j’avais déjà pris ma décision.

- Le pronostic vital ou de guérison est-il différent ?
- On ne peut pas dire ça, dans le sens ou c’est le premier qui a été identifié qui est le plus embêtant.
- Oui, le triple négatif, de ce que j’ai lu c’est le plus récidivant ou celui qui a tendance à métastaser plus vite.
- Oui, surtout à s’échapper ailleurs, dans d’autres partie du corps. Ce qui n’est pas actuellement le cas pour vous. Le pet-scan l’a montré.
- Pourquoi les radiologues et oncologues proposent ils la mastectomie ?
- Quand deux nodules sont trouvés à distance, ils préconisent d’enlever tout le sein pour être sûr d’avoir enlevé tout ce qui était susceptible d’être cancéreux.
- J’ai pris la décision d’attendre pour la mastectomie d’en savoir plus. Ça me parait précipité.
- Oui, je comprends.
- Ce que j’ai compris c’est qu’après l’opération des deux nodules, on va savoir si le tissu autour est clair c’est-à-dire sans trace de cancer ou pas ?
- Oui.
- Si le tissu autour du cancer 1 est clair quelle est la suite du traitement ?
- Cela va dépendre de la taille effective du nodule, en dessous de 5 mm, il n’y aura pas de chimio, au-dessus, il y en aura. Puis radiothérapie.
- Pour le cancer 2 ?
- Si le tissu est clair autour, radiothérapie.
- Si le tissu n’est pas clair autour de l’un ou de l’autre ?
- C’est là que va se reposer la question de la mastectomie. Et de la suite des traitements.
- Par curiosité, c’est fréquent d’avoir deux cancers de types différents ?
- Sans vous dire que c’est le plus courant, oui, malheureusement, ce n’est pas non plus exceptionnel.
- Je vous verrais mardi, pour l’opération ?
- On se verra avant l’opération, vous pourrez juger en direct si j’ai bien ou mal dormi et réciproquement.
- (Je l’entend sourire et je ris)
- Et on se verra après quand vous serez retournée en chambre, je vous expliquerai ce qui s’est passé pendant l’opération et je donnerai l’autorisation de sorti.
- Toujours pas de contre-indication à repartir en Bretagne deux jours après ?
- A condition que vous ne conduisiez pas et que vous ne vous baignez pas plus loin que jusqu’au nombril.
- Oui, je me doute que l’eau de mer n’est pas recommandée.
- Ça risque d’être très douloureux surtout, je crois que vous m’en voudriez très fort si je ne vous le déconseillais pas.
- Bon, je vous remercie, je crois que j’ai posé toutes les questions que j’avais en tête.
- Je vous en prie, c’est normal. C’est important de pouvoir revenir dessus et de clarifier les choses. Ce n’est pas comme si on vous retirait un corps au pied.
- C’est sûr. Bien à mardi alors
- A mardi, profiter bien de votre week-end.
- J’y compte.

Hier, je suis allée me promener au bord de la mer toute seule. Ce qui m’est venu dans cette méditation contemplative c’est que j’aspire à la paix, à la joie, depuis toujours. La mastectomie est une agression, comme le sera la chimio si elle a lieu. Contre le cancer, bien sûr, mais le cancer est en moi, ce sont mes cellules qui déconnent, alors ça revient au même, c’est une agression contre mon corps. Elle ne peut avoir lieu qui si ma survie en dépend. Ce n’est pas encore le cas. Acte de confiance, acte de foi, s’il existe une possibilité que mon corps s’en sorte bien sans qu’on le mutile, je veux lui donner cette chance.

J’ai pensé aussi, 2 cancers différends, j’ai besoin que ça fasse sens. J’associe, à tort ou à raison peu importe, la question ne se pose pas ainsi. J’associe donc ces cancers à cette année de stress que je viens de passer. La maladie et le décès de Stéphanie oui, mais aussi le stress lié aux études à L’IED. Je me suis posée la question toute l’année « oui, je suis capable de le faire, les résultats le montre, mais à quel prix ? » Cette sensation que je payais un cher tribut mes efforts d’adaptation au système. Me posant cette question depuis des mois, bien sûr, le surgissement des cancers vient drôlement résonner. Est-ce que mon corps n’est pas en train de me signifier quelque chose ? Je songe sérieusement à arrêter l’université. Et quand je joue avec cette idée, je ressens une détente interne, un soulagement. Mon corps, aimerait bien, je crois, que j’arrête cette voie, que je change de chemin. Jusqu’à présent je me disais que je pouvais peut-être le vivre différemment. Mais hier, j’ai repensé à tous ces cours qui touchent justement aux méthodes universitaires, les stats, les outils de la recherche, tous ces cours qui sont dédiés à la théorisation, la conceptualisation. C’est important que ça existe. Mais je ne suis pas faite pour ça. Je m’épanouis dans le concret, dans le vivant. L’université, en tout cas l’IED, pour moi, c’est du savoir mort. Et je pense à Peter Brook qui parlait de théâtre mort. Oui, c’est la même chose.

Bien sûr il y aura les stages, bien sûr peut être que j’ai passé le plus dur. Peut-être, peut-être pas. J’ai 51 ans, et deux cancers du sein, j’aspire à la paix, à la joie, à la vie. Thérapeute je le suis déjà. Je le suis par mon expérience de vie, par le travail que j’ai fait sur moi. Je le fais déjà. Je songe à continuer d’ajouter des cordes à cet arc, par des formations plus expérientielles, sophrologie, hypnothérapie. Je songe à reprendre ma route dans le monde parallèle, comme on appelle ces médecines parallèles, qui ne valent pas mieux que l’officiel, mais qui sont bien utile tout de même.

Je voulais, à toute force, comme c’est bien dit cette expression, à toute force, entrer dans la voie tracée que j’appelais voie royale, celle qui facilite la vie, ouvre les portes, rassure. Je voulais essayer au moins. Je me suis prouvée au passage que j’en avais la capacité intellectuelle, ce n’est pas que je sois idiote, c’est qu’il y a quelque chose en moi qui meurt dans cette voie. Je ne sais pas pourquoi. C’est comme ça.

Je songe sérieusement à bifurquer à nouveau dans les chemins de traverse. Qui sais, mon corps et moi y trouverions peut-être la réconciliation …