IMG_4707stgueete22_DxO.jpg, août 2022
Photo Gilsoub

Je résiste à l’idée de ne pas pouvoir travailler pendant ma chimio. J’essaie de trouver des moyens que cela soit possible. Quand François et Stéphanie était malade du cancer, je me demandais pourquoi ils entretenaient si fort l’idée qu’ils allaient pouvoir travailler. De ma place d’aidante, il était assez clair que ce ne serait pas possible et en effet ça ne l’a pas été. Et me voilà, avec mon cancer, à m’accrocher à l’idée que peut être je vais pouvoir continuer à travailler. Il y a dans l’idée d’arrêter de travailler une sensation de disparaitre aux yeux du monde. Je suis très surprise d’éprouver cela, car j’ai connu des périodes de chômage assez longue et je n’ai jamais vécu cela comme ça, je n’attache pas d’importance à la valeur « travail ». Je sens bien que c’est le combo « maladie longue durée/arrêt travail ». Quand je reçois des messages de mes collègues formateurs, très gentils, qui conclut par « bon courage, à bientôt », même si je sais que leur intention est bienveillante, je me prends un coup. Exclusion ? Je crois que c’est de sentir le continuum de leur vie tandis que la mienne connait un tel accident qu’elle en sera changée à jamais. De fait, je sors de leur trajectoire. Alors bien sûr, ce n’est que 6 mois, peut-être un an, pour François et Stéphanie c’était la fin de leur vie, pas pour moi. Il y aura un retour. Ou peut-être est-ce la petite fille en moi, celle qui ne voulait pas aller se coucher de peur qu’il se passe des choses importantes sans elle ?

Il y a une sorte d’incohérence qu’une partie de moi à dû mal à saisir. La gravité du ton de mes interlocuteurs semble en dichotomie avec le « ça se soigne bien » qu’ils me servent. « Ça se soigne bien », ça me donne l’impression que ce n’est pas grave. D’ailleurs quand je veux rassurer les gens à qui j’en parle je dis « ça se soigne bien ». Oui, mais quand même, ça se soigne à coup de bulldozers. Opération/chimio/radiothérapie, c’est du lourd. C’est grave quand même, ben oui, ça reste un cancer. Me faisant cette réflexion, je décide de dire maintenant « ça se soigne, je vais guérir, mais ça reste un cancer ». Ça me permettra peut-être de mieux assimiler ce qui m’arrive.

A la psy qui me demandait :
- De quoi avez-vous peur ?
- De la maladie.
- De mourir ?
- Non, je ne crois pas. Enfin, je n’ai pas peur que la maladie me tue, quant à la peur de mourir en général, je ne sais pas.
- De quoi alors dans la maladie ?
- De souffrir, de la fatigue…
- Pourquoi avez-vous peur de la fatigue ?
- Bonne question.

Je n’ai pas su répondre sur le coup. Mais bien sur, j’y ai repensé. J’associe la fatigue à un état dépressif. La fatigue signifie le manque d’énergie, comment guérir si je n’ai pas d’énergie ? Comment guérir si je déprime ? La fatigue, c’est la porte d’entrée de la vulnérabilité, si je suis vulnérable, je peux être attaquée car je suis sans défense. Je reconnais tous mes mécanismes d’hyper vigilance lié à mes divers traumas. Hyper vigilance qui est cause de ma fatigue chronique et que j’aimerai tant lâcher. J’avais commencé un travail psychothérapeutique là-dessus ces derniers mois. Mais la vie me propose une nouvelle épreuve, un nouveau surgissement insécurisant, une nouvelle effraction. Même si, je suis en capacité de « philosopher » sur la vulnérabilité qui est inhérente à la condition d’être humain à partir du moment où nous sommes mortels, je ne peux empêcher la peur de surgir. La peur qui est l’émotion qui prépare le corps à agir, à se battre ou à fuir. Épreuve de l’extrême que de trouver une sérénité, un lâcher-prise, une confiance, dans l’expérience du cancer. Mission impossible ou au contraire moment décisif pour y parvenir ?

Pour le moment je tourne en rond comme un fauve en cage. J’ai des moments de grande déprime, perte de sens, plus rien qui ne rime à rien… Et puis ça passe, parce que la vie en moi me chuchote que le sens n’est pas nécessaire pour l’aimer, qu’elle se suffit à elle-même. Il n’y a qu’à sentir et observer le vivant pour être immergé dans sa beauté. C’est assez. Cela me suffit. Je pense à ma Bretagne, si belle, je pense aux cellules de mon corps qui continuent leur job fascinant de cicatrisation.

Disparaitre aux yeux du monde peut être une chance quand on voit comme il tourne. S’en abstraire pour revenir aux fondamentaux. Je vois une urgence à remettre l’altérité au cœur de nos vies. Nous mourons et nous tuons, en tant qu’humanité, de notre illusion de puissance individuelle…